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Billet du 7 avril 2020

Par Martina di Marco 

« Ma peine je la fais, pas de problème, mais dans d’autres conditions »

[Il y a environ sept mois, Khaled intégrait la prison de Jamioulx pour ce qui sera sa première « longue peine ».

La liberté conditionnelle sera envisageable aux alentours d’octobre/novembre, il craint que ce délai ne soit allongé à cause des reports. Jamioulx, une prison qui fait parler d’elle ces dernières semaines et de laquelle il nous partagera son expérience.]

Dans la première partie de la chronique qui lui est consacrée, Khaled nous racontait la situation tendue dans laquelle se trouvent les détenus et le personnel de la prison de Jamioulx. Cette tension s’est transformée en émeutes.  Celles-ci sont le moyen auquel les détenus ont recours quand ils ne savent plus comment se faire entendre. D’ailleurs, elles font aussi partie des rares occasions lors desquelles l’extérieur entendra parler des prisons. Ça et les grèves des agents. À son goût, on ne s’intéresse pas assez aux raisons de ces débordements. Alors qu’il existe beaucoup de raisons de se révolter, et ce, même en temps normal.

Khaled est remonté. Il a déjà du mal à comprendre ce qu’il fait en prison, car « je n’ai fait de mal à personne ». Passons. Sa peine, il veut bien la purger, « pas de problème, mais dans d’autres conditions » :  l’état de la cellule, l’organisation de la vie quotidienne, la cantine, tant de choses sont à revoir.

La cellule. À la fenêtre, un plexiglas qui ne tient plus en place. Khaled demande alors à un agent une vis pour arranger ça. Pour toute réaction, on lui lance un désinvolte « je n’ai pas ma boîte à outils sur moi ». Il devra donc miser sur sa débrouillardise. Malheureusement, contre les souris elle se montrera moins efficace. Mais, il a plus d’un tour dans son sac, et c’est ici son obstination qui finira par payer : la première réponse à sa demande de piège à souris était qu’ils étaient à cantiner. Ça ne lui convenait pas. Il a continué à demander et a finalement obtenu qu’on lui en cherche un, aux frais de la prison. Si c’est possible, comment cela se fait-il qu’il ait dû tant insister ? Les souris ne sont qu’une partie de la faune présente en cellule : les cafards eux aussi sont de la partie ! Non seulement, il se sont invités dans le meuble d’un des trois codétenus de Khaled, où ils se sont fait un nid, les contraignant à tout vider et s’organiser avec une armoire en moins, mais en plus il n’est pas rare qu’il y en ait qui leur tombent dessus. « Maintenant les souris, les cafards, bientôt ce sera un serpent et ce sera normal ».

La vie quotidienne. Une journée à la prison commence vers 6h, c’est en tout cas à cette heure-là que Khaled estime que sa nuit prend fin. Cela correspond à l’heure à laquelle les agents recommencent leurs rondes. Avant ça et depuis 22h la veille, il faut de la persévérance pour obtenir d’un agent qu’il réponde à un appel. Ce n’est d’ailleurs pas sans inquiéter Khaled qui a, par le passé, déjà connu des épisodes de détresse respiratoire de nuit. Qu’est-ce qui se passerait dans ce cas-là ? « Le lendemain il y aura un cadavre » !?  « C’est déjà arrivé » lui a confié une gardienne alors qu’il lui faisait part de ses inquiétudes. Il a lui-même été le témoin d’un exemple interpellant : il n’y a pas si longtemps de ça, un détenu s’est coupé la lèvre en utilisant son rasoir. Il saignait. Il a appelé à l’aide.  Il était 22h passées... Il a dû se contenter de voir le médecin le lendemain, l’entaille couverte d’une grosse croute à la lèvre comme témoignage de l’épisode de la veille. Ce détenu a été transféré dans les deux jours à Leuze-en-Hainaut. Khaled soupçonne que ce soit pour noyer le poisson. Normalement, un transfert prend davantage de temps. En journée également, il arrive de devoir attendre longtemps avant de voir un agent ou d’avoir une réponse à une question. Sur le temps de midi, des servants assurent le premier et le seul service de nourriture de la journée.  Celui-ci comprend un repas chaud et des tranches de pain pour le souper, accompagnées souvent de fromage, parfois de thon, « ça va, il ne se plaint pas ». Le reste est à cantiner. Les médicaments, eux, sont servis par les agents.

La cantine. Les détenus qui ont de l’argent peuvent l’utiliser pour cantiner. Les autres reçoivent une aide sociale. Une cinquantaine d’euros par mois, desquels sont déduits automatiquement les dépenses obligatoires. Chaque détenu se voit, par exemple, retirer 10€ par mois pour la télé, et ce peu importe combien ils sont à en profiter dans la cellule. Les prix en vigueur sont plus élevés que ceux à l’extérieur et démesurés par rapport aux moyens de certains détenus. Cette marge alimente la caisse d’entraide aux détenus (CED) dont l’utilisation varie d’une prison à l’autre. Mais cette cantine, c’est du luxe, non ?  Que doit s’acheter un détenu ? Eh, bien en fait, la question serait plutôt, que ne doit pas s’acheter un détenu ? À leur disposition, ils ont un lit, le repas chaud quotidien, les tranches de pain et accompagnement. Tout le reste, savons et produits d’hygiène, détergents, boissons, biscuits, pâtes à tartiner, miroir, rasoirs, lessive, tout se paie. Et à Jamioulx, même le PQ, précise Khaled. Il souligne également le fait que le système est mal fait pour les détenus avec moins de moyens. Par exemple, si pour son anniversaire, un détenu bénéficiant de l’aide aux détenus reçoit de sa famille de l’argent, cela servira à « rembourser » la prison et sera directement prélevé du compte d’une part et aura pour effet le non-versement de l’aide pour le mois suivant d’autre part (1).

Ces différents points, ils n’ont pas d’interlocuteurs à qui les adresser. Khaled conclut : « on est obligé de faire un mouvement au préau pour voir la direction, mais après il faut quand même la punition ».  Dans la suite de la chronique, Khaled nous expliquera l’évolution de la situation actuelle en faisant part de ses pistes d’amélioration.

(1) C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains détenus participant à notre chronique n’ont pas souhaité être dédommagés pour les appels téléphoniques.

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