top of page

Le journal du Genepi Belgique

Numéro 2- Hiver 2020

des peines et du travail

brèche II.jpg

L'EDITO du journal - Hiver 2020 n°2

 

On ignore souvent que, à côté des vêtements issus de l’industrie Made in China, des voitures assemblées dans l’ex-bloc de l’Est, ou des composants de nos téléphones portables extraits dans les mines en RDC, circulent parmi nos objets d’usage quotidien des produits de beauté, des sprays et aérosols, des extincteurs, des meubles, etc. d’appellation « cellmade ». Autrement dit, les produits manufacturés au sein de nos prisons. C’est entre leurs murs que des grandes marques telles que Unilever, Coca Cola, Di, Sodexo, ainsi que d’autres moins grandes, disposent de la main d’œuvre à plus bas prix du pays. Un levier non négligeable contre la délocalisation des entreprises, comme le souligne Cellmade, le label commercial de la Régie du travail pénitentiaire (P. Jassogne, p.20). Et pour cause : le travail en prison ne fait l’objet d’aucun contrat. Il ne bénéficie d’aucune protection sociale. Il en ressort une main d’œuvre flexible, nombreuse, disponible. Ces avantages sans égal en Belgique pour les employeurs permet également de faire tourner la machine interne. La majorité des travailleurs et travailleuses incarcéré•e•s sont embauché•e•s par l’administration pénitentiaire : travail des servant•e•s en cuisine et à l’entretien des ailes, travail ouvrier dans les fonderies pour construire les grilles, en menuiserie pour fabriquer les lits, en couture pour produire les vêtements pénitentiaires...

 

Depuis le premier janvier 2020, il est prévu que la paye en prison soit de 0,75 minimum et de 4 euros maximum de l’heure (sachant qu’avant cette date toute récente, même cela n’était pas garanti). Une personne incarcérée est embauchée sur des bases arbitraires, peut être renvoyée du jour au lendemain sans justificatif ni préavis, n’a pas droit au chômage et ne cotise pas pour sa pension.

Et pourtant, le travail pénitentiaire est crucial pour les détenu•e•s, car la vie est chère en prison (systématiquement plus chère qu’à l’extérieur). Plein de choses essentielles à la vie en prison sont payantes : les produits d’hygiène, les appels téléphoniques, tout aliment non compris dans le menu « de base », la télévision, etc. De nombreuses personnes incarcérées laissent derrière elles une famille qui dépendait de leurs revenus. Et comment espérer démarrer un nouvel équilibre de vie à la sortie sans pouvoir se constituer un minimum d’économies ? Par ailleurs travailler en prison, c’est aussi une manière de sortir de cellule, de se donner un rythme, de tuer le temps. C’est pourquoi, même si les détenu•e•s sont les premiers à pointer l’exploitation à laquelle ils et elles sont sujet•te•s, l’accès au travail fait partie des préoccupations vitales au sein de la prison (F. Guilbaud, p.34). Il se retrouve aussi imbriqué à l’espoir de sortie. Obtenir une sortie anticipée de prison (bracelet électronique, libération conditionnelle) dépend du « comportement exemplaire » des détenu•e•s, qui passe par le travail et la discipline. Si demander à travailler se fait sur base volontaire, la réalité carcérale force au travail.

C’est à cette réalité que La Brèche consacre le dossier de son deuxième numéro : comment s’organise le travail des personnes incarcérées en Belgique, et quelles en sont les conditions ? Comment est-il perçu par les détenu•e•s (témoignages p.24 et p.31) ? Quelles sont les normes juridiques qui sont censées l’encadrer, et la réalité de leur application (LDH, p.27) ? Dans quelle économie (P. Jassogne, p.20) ? Quelles spécificités pour le travail des femmes détenues (N. Chetcuti-Osorovitz, p.48) ? Quelles alternatives existantes en régime ouvert (Ferme de Moyembrie, p.52) ? Et quelles perspectives de luttes et de revendications (C. Tolley, p.63) ?

 

C’est avec malaise que nous avons pris conscience du silence public qui entourait la question. L’absence de statut des travailleurs et travailleuses incarcéré•e•s rend actuellement impossible toute organisation syndicale (M. Jacobs, p.59), et aucun syndicat ne s’en fait le relai. Par ailleurs, aucun parti politique, même parmi les plus travaillistes, n’y fait allusion dans son programme. Autrement dit, en ce qui concerne le travail en prison, nous n’en sommes même pas encore à la note d’intention. En Belgique, tout en bas de l’échelle que parcourt le capitalisme sauvage, il y a les conditions du travailleur clandestin et celles du travailleur incarcéré. Et tandis que les premières forment un invisible rejeté aux marges de l’Etat, les secondes y forment un invisible en plein cœur !

 

En prison, le nombre de demandeurs d’emploi dépasse de loin la quantité de travail disponible. Celui-ci se présente non comme un droit, mais comme une faveur (témoignage p.24). Pourtant, tous les acteurs concernés par le travail en prison y trouvent leur intérêt : il présente des avantages économiques pour les entreprises, il facilite la discipline et la logistique interne pour les établissements pénitentiaires, et il permet une ressource financière ainsi qu’un cadre de vie nécessaires aux détenu•e•s. Il y aurait dès lors tout lieu de poser la question en termes de rapport de forces. Et pourtant (ou justement en raison de cela), les conditions qui permettraient à ce rapport de se former sont systématiquement sapées. 

 

Les relations de travail traversent la prison en son entier. Les revendications des détenu•e•s sont passées sous silence. Celles des agents pénitentiaires — dont on connaît la force syndicale — sont tantôt entendues, tantôt jugées inentendables. Ces revendications sont-elles antagonistes ? Y a-t-il des alliances possibles ou souhaitables ? (OIP p.56, M. Jacobs p.59)

 

La prison préfigure, concentre et exacerbe les réalités sociales et économiques de notre société. Elle est un laboratoire des mécanismes d’oppression les mieux affûtés. Mais pourrait-elle être un lieu d’expérimentation des moyens de résistance ? La doctrine carcérale en fait le fleuron du cloisonnement, nous avons pour vocation de travailler à son décloisonnement. Une campagne de sensibilisation et de réflexion sur la place du travail en prison sera menée en 2020 par le Genepi Belgique. En attendant, voici quelques analyses, études, opinions et témoignages qui vont permettre d’ouvrir la discussion à propos du travail en prison.

100 pages.

disponible dès aujourd'hui,

à prix libre.

Soirées de lancement

numéro 2 - hiver 2020

La Brèche !

 

Vendredi 7 février très belle soirée de lancement à Bruxelles,

à la Librairie « Par Chemins »  Quelle soirée extraordinaire ça a été !

Samedi 15 février c'était à Liège,

à la Librairie « Entre murs et monde »,

une soirée de rencontres qui a ouvert à pleins de nouvelles perspectives.

bottom of page