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Parentalité et prison : double peine en temps de pandémie

Par Renaud-Selim Sanli, pour le Genepi Belgique.

 

 

Le 20 avril 2020, le Délégué Général aux Droits de l’Enfant (DGDE) déposait une proposition gouvernementale visant à maintenir la relation entre un enfant et un parent détenu. Le maintien de cette relation est primordial dans un état de tension exacerbée. Comme le rappelle le DGDE, la rupture d’un lien affectif peut donner lieu à des traumatismes graves et compromettre le développement affectif et psychologique de l’enfant touché. C’est dans un contexte de suspension des visites pour les détenu·es en Belgique, que le Relais Enfants-Parents essaie coûte que coûte d’assurer sa mission : maintenir le lien entre les familles et un proche incarcéré.

 

« Il ne faut pas dire à mon papa qu’il est en prison, sinon il va être très très triste » ces paroles prononcées par Stéphane, 4 ans, aux psychologues du Relais Enfants-Parents devant la prison de Saint-Gilles reflètent bien toute la difficulté qui existe pour maintenir une relation entre un parent incarcéré et son enfant en temps normal. La situation pandémique rend la tâche d’autant plus compliquée pour les familles et pour le Relais qui tente tant bien que mal de pallier la suspension des visites.

 

Le 15 avril, après réunion du Conseil National de Sécurité, Sophie Wilmès annonce la prolongation des mesures de confinement jusqu’au 4 mai. Néanmoins, parce que « on meurt aussi de solitude » comme la Première Ministre ne manque pas de le rappeler, des dispositifs spécifiques seront pris pour permettre la visite de proches en maisons de repos ou en institutions spécialisées. La situation des personnes incarcérées n’a pas été évoquée.

 

Dès le début de la crise du Covid-19, le ministre de la Justice Koen Geens annonçait la suspension des visites en prison. Près de 11 000 personnes incarcérées vivent désormais dans des situations d’isolement exacerbées et cela sans aucune certitude sur le temps de cette suspension. L’isolement en prison est en temps normal l’un des plus grands défis à affronter. Ceci tant pour les détenu·es que pour leurs proches. Dans cette situation se trouvent notamment les enfants de personnes incarcérées comme le rappelle le Relais Enfants-Parents qui vise au maintien de la parentalité malgré la case prison. L’association, dirigée par Stefania et secondée par les psychologues Virginie et Floriane, se bat au jour le jour pour accompagner les parents incarcérés à maintenir ou restaurer un lien avec leurs enfants. Que ce soit par la préparation à domicile des visites en prison, l’aide à la parentalité ou encore l’accompagnement et la mise en place de visites individuelles ou collectives. Pour l’association, la prison ne doit pas être un obstacle au maintien d’un lien fondamental pour le développement affectif et psychologique de l’enfant. Le maintien de ce lien est encadré par la Convention internationale des droits de l’enfant. Comme le rappelle Stefania, la directrice, « Avant d’être des détenu·es, ce sont souvent des parents et même des parents aimants. Ce n’est pas parce qu’ils ont eu des ennuis avec la justice que ce sont des mauvais parents. Les enfants n’ont pas à subir eux aussi tous les effets de l’enfermement. C’est déjà assez grave comme ça ».

 

Déjà en sous-effectif, malmené par un stress horaire accru et sous-financé, le Relais Enfants-Parents bataille au quotidien pour organiser les visites. L’association traite en moyenne 1800 dossiers d’enfants par an pour 700 à 800 détenus. Beaucoup d’enfants sont dans des situations d’incompréhension face à l’absence de leur père ou de leur mère et vivent sous le coup d’une situation post-traumatique pour avoir dans de nombreux cas, vécu l’arrestation en direct. Ils ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent voir leur parent incarcéré que deux mercredis par mois, parfois moins, pendant une heure trente. Les psychologues de l’ASBL doivent faire appel à des bénévoles ainsi qu’à la Croix-Rouge avec le projet Itinérances (le projet Itinérances vise à permettre à des enfants de visiter un parent incarcéré) pour organiser les visites à l’autre bout du pays. Pour voir son père une heure et demi, Romain doit faire deux fois par mois 500 km aller-retour, attendre devant la prison, passer les sas, attendre, passer d’autres sas pour enfin avoir le droit de tenir son père dans ses bras et lui raconter sa vie à l’école ou l’entendre lui raconter une histoire. Si les travailleur·euses du Relais ne comptent plus leurs heures, c’est que derrière chaque visite il y a une préparation de démystification du monde carcéral tant pour le parent resté à l’extérieur que pour l’enfant. Du bruit des portes aux fonctionnements de l’institution, tout doit être expliqué. Il en va de la souffrance de l’enfant qui porte déjà le stigmate et parfois la honte d’avoir un parent incarcéré.

 

Avec la suspension des visites et l’incertitude de la situation, tout se complique. Comment expliquer aux enfants qu’ils ne peuvent pas voir leur papa ou leur maman pour l’instant ? Comment répondre aux inquiétudes des parents incarcérés ? Les moyens de communication et d’information sont déjà limités en temps normal. Parfois Floriane reçoit un appel d’un·e détenu·e qui lui demande des nouvelles de sa famille ou veut faire passer un message à son fils « Papa va bien, tu lui manques, je suis en bonne santé pour l’instant ». Il veut savoir ce que son fils a fait aujourd’hui ou s’il est lui aussi en bonne santé. Mais comme le téléphone est interdit en prison, il faudra convenir d’un horaire pour qu’il rappelle en espérant qu’il puisse avoir accès au téléphone. Quand on est en prison, le temps s’allonge indéfiniment pour tout le monde. La violence psychologique du surisolement que provoque le confinement est palpable des deux côtés.

 

Sofia, mère d’une enfant dont le père a été incarcéré nous raconte : elle a fait appel au Relais Enfants-Parents après avoir vu l’une de leurs affiches à l’entrée d’une prison. L’enfant venait de naître et le père de rentrer en prison. Il n’a pas pu assister à la naissance de sa fille. Hormis ce qu’elle avait pu voir dans des films, Sofia ignorait tout de l’univers carcéral et ne savait dès lors pas comment concilier prison et liens familiaux. Le Relais Enfants-Parents, grâce à un important travail en amont, l’a aidée à démystifier ce milieu opaque et à l’accompagner dans son parcours parental en tant que compagne de détenu. L’association a aussi préparé le père, Thomas, à rencontrer sa fille un an après sa naissance. Au début Thomas ne voulait pas la voir : il ne voulait pas faire subir à sa fille la violence du milieu carcéral. Il préférait être loin d’elle. Un jour il a compris qu’il ne pourrait pas continuer sans voir sa fille grandir, même deux fois par mois pendant une heure et demi. En prison, sous le regard des agents pénitentiaires, il a appris à lui changer sa couche, la nourrir, la border, il lui a appris à marcher et même à parler ou à lire quand il le pouvait. À chaque visite Thomas essaie de rattraper le temps perdu. Sofia est aujourd’hui à nouveau désespérée. « La situation du Covid-19 est catastrophique pour le maintien du lien. Mon enfant demande après son père et ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas le voir. Elle s’imagine beaucoup de choses et je ne suis pas capable d’y répondre. Je suis en contact avec d’autres parents dont un des enfants a un parent détenu. Nous vivons dans le stress continu de la contamination. Les conditions de nos conjoints ou conjointes sont exécrables. Nous sommes 24 heures sur 24 cramponné·es à nos téléphones de peur de rater un appel. Et en même temps, chaque appel pourrait être une nouvelle funeste. »

 

Le surisolement dû au coronavirus est venu renforcer la violence intra-muros. Les familles sans information craignent à tout moment la mauvaise nouvelle. « On se sent seules et abandonnées. Rien n’est fait au niveau institutionnel pour le moment ni pour eux ni pour nous ». Comme le rappelle Stefania, la directrice de l’ASBL Enfants-Parents, les populations concernées sont déjà au quotidien des populations vulnérables, la plupart sont des mères monoparentales, vivant d’emplois mal rémunérés et avec un faible accès aux langues du pays. Avec la crise actuelle et les conséquences économiques d’un chômage partiel, l’arrêt des titres-services ou d’un travail au noir qui ne peut pas être compensé, les parents s’enfoncent d’autant plus dans une précarité affective, psychologique, sociale et économique. Stéphanie, Virginie et Floriane sont très inquiètes des conséquences de la crise, d’autant plus que, comme l’a mentionné la presse, si des surveillant·es ont été contaminé·es, il y a fort à parier que beaucoup de détenu·es aussi.

 

Pour pallier ces manques, le Relais Enfants-Parents essaie d’être créatif avec les moyens du bord. Le budget « œufs de Pâques » se transforme en budget photo : l’ASBL a mis en place un système d’envoi de photos, de dessins et de lettres aux parents détenus. Les familles sont ravies de pouvoir occuper leurs enfants et faire perdurer le lien. Un îlot de réconfort pour les détenus et détenues aussi. « Ça permet de continuer à tenir, c’est une bulle d’air pour nous qui sommes enfermés 18 heures sur 24 alors que le printemps arrive » raconte François, incarcéré à la prison de Forest. Le Relais Enfants-Parents pousse pour l’accès aux visioconférences avec leurs proches dans les prisons. Si jusqu’à présent le matériel disponible était mobilisé en priorité pour la continuité judiciaire (audiences, etc.), les systèmes de vidéo-conférences commencent à se mettre en place entre les détenus et leurs proches. Le 20 avril, le Délégué aux droits de l’enfant, Bernard De Vos, avec l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse, déposait une proposition au gouvernement allant dans ce sens. Cette proposition recommande, au nom de l’« intérêt supérieur de l’enfant », la généralisation des moyens technologiques pour assurer la continuité de la relation entre l’enfant et son proche. Si ces mesures permettront de pallier l’absence de communication actuelle, elles ne doivent pas venir remplacer sur le long cours les visites physiques comme le rappelle Stefania du Relais Enfants-Parents : « On fait avec ce qu’on a, bien sûr l’idéal serait pour les enfants de voir leurs proches libérés au moins le temps de la pandémie, mais même une petite victoire reste une victoire ».

 

 

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