top of page

Billet du 5 mai 2020

Par Stéphanie Mureau

[Steve, 47 ans, papa d’une jeune fille de 15 ans, anciennement manager à la Stib et incarcéré pour la première fois depuis le mois de novembre en détention préventive à la prison de Nivelles. Ayant entendu parler de la chronique par le biais de son avocate, il veut apporter sa pierre à l’édifice. Se rendre utile en cette période où ils perdent leur temps à l’intérieur des murs.]

 

(…)

« Le problème ici c’est que si on réfléchit trop à son histoire, on recule. Donc il faut aller de l’avant et après, voir comment on aurait pu réagir autrement, situer sur le parcours ce qui a été décisif ». Ce n’est pas la première fois que Steve m’évoque le côté anxiogène de l’enfermement. Broyer du noir, ressasser encore et encore les faits, se gonfler de négativité, d’amertume voire même de haine, c’est le quotidien de nombreux détenus.

 

Heureusement, Steve a trouvé un échappatoire à ces pensées toxiques. À l’aumônerie, dont il nous avait déjà parlé dans son premier billet, il a pu se confier et entendre les histoires des autres. Il décrit ces réunions comme un petit havre de paix. Pour l’instant, les rencontres sont suspendues, mais ils continuent à s’écrire avec l’aumônier. C’est un lieu où les détenus partagent leurs maux. Il me rapporte une petite anecdote : il a conseillé à l’un des participants qui semblait souffrir de l’absence de lien avec un membre de sa famille, de lui envoyer une lettre. « Je lui ai dit qu’il avait rien à perdre. Vous voyez, ce que je ne fais pas moi-même, je peux quand même le conseiller aux autres (rires) ». Cela fait partie du positif qu’il retire de cette expérience.

 

Steve embraye. Il a beaucoup changé depuis qu’il est en prison, il en retire beaucoup de positif même en l’absence de travail thérapeutique, qui pour rappel, lui avait été refusé. Il pense cependant que d’autres moyens que l’incarcération auraient pu arriver au même résultat, et sans tout le côté négatif de la prison. Je ne comprends pas bien ce qu’il veut dire. Il précise qu’il y a des choses qu’ils sont obligés d’apprendre en prison, par la force des choses. À l’extérieur par contre, ils n’ont pas toujours la volonté de faire les choses, ou en tout cas, ce n’est pas avec la même intensité car il n’y a pas que cela dans leur tête. Voyant que j’ai toujours du mal à saisir ce qu’il veut dire, il prend un exemple : « j’ai toujours aimé le minimalisme, j’ai toujours voulu apprendre à vivre avec le strict minimum, sortir de la haute consommation et tout ça. Eh bien, en prison, j’ai pas le choix. On se rend vraiment compte de la valeur d’un bout de papier, d’un gant de toilette,… ». Il se souvient encore qu’à son arrivée, il a dû attendre deux semaines pour avoir un coussin. Tout a de l’importance en prison. Surtout que Steve, ayant des problèmes de cervicales, a finalement commandé un coussin spécial. Lorsqu’il a changé de cellule, on a refusé qu’il le prenne avec lui. « Pourtant, c’est moi qui l’avais commandé. Rien ne vous appartient ici. À l’extérieur, c’est impossible à reproduire. Vous ne savez pas faire ça ».

 

Encore un exemple de plus. Persuadé qu’il va bientôt être libéré, il a préparé un sac en plastique qu’il souhaiterait donner au détenu de la cellule d’à côté. À l’intérieur, plusieurs aliments de première nécessité, du sucre, du beurre, etc… Son voisin de cellule aime cuisiner lui-même, et il voudrait pouvoir lui en faire don, la cantine étant très chère. Cela fait deux jours qu’il n’arrive pas à lui passer parce que les gardiens refusent sans explication. Il espère tomber sur une agente plus conciliante avant sa sortie, qui acceptera de donner le sac. Je lui demande si cela dépend de sur qui il tombe comme surveillant. Il confirme : « certains sont très fermés, froids, désagréables. D’autres sont plutôt indifférents, pas empathiques mais pas méchants du tout. Juste distants. J’ai déjà sorti à une agente que je ne l’avais jamais vue sourire depuis que je suis ici. Je lui ai suggéré de changer de boulot. Ça l’a vexée (rires).

 

On parle ensuite des jeunes qu’il continue à remuer en prison. L’un en particulier le touche beaucoup. Il nous en a d’ailleurs déjà parlé dans un précédent billet. C’est quelqu’un qui n’apprend rien de bon là-bas, qui projette déjà d’autres coups à sa sortie, car il n’a plus que ça. Il a beau tenter de discuter avec, il sent qu’il ne percute pas. « C’est un jeune, s’il sort, il a plus rien. Son père le veut plus ». Il les travaille tous les jours au préau pour essayer de leur redonner goût à un schéma plus positif de vie, mais cela semble difficile de les atteindre. « Par contre, ils me respectent. Le jeune en question m’appelle même papa… ».

 

Ce qui rend selon lui cette remise en question si difficile, c’est le climat qui règne en prison. « Ici vous êtes un animal, ça se sent fort. Un animal vous le sortez deux-trois fois par jour. Ici on nous sort une fois par jour ». Ses mots résonnent en moi. Cela me semble évident : répéter tous les jours à quelqu’un ce qu’il a fait de pire dans sa vie, ne plus l’identifier que par cet acte, et tout de même espérer qu’il se projette autrement, qu’il se « réhabilite », se « réinsère », autant de mots que la prison et ses acteurs utilisent à outrance, tout cela a-t-il vraiment un sens ?

 

En ce qui concerne Steve, il est persuadé qu’il est arrivé là pour une raison. « Si je peux aider avec mon expérience, c’est avec plaisir. Il n’y a que les personnes qui l’ont vécu qui peuvent vous en parler. Même si on fait un stage en prison, il n’y a pas cette pression autour comme celle qui nous écrase là ».

À sa sortie, il aimerait pouvoir garder contact avec quelques détenus avec lesquels il a bien sympathisé, mais il pense que ça lui sera interdit. Cela fait souvent partie des conditions de libération.

 

Pour conclure notre échange, Steve se confie encore un peu plus : « moi, j’ai toujours filé droit dans ma vie. J’ai perdu pied et j’ai commencé à monter la courbe au décès de ma maman l’année passée. C’est quelque chose qui m’a perturbé. Un jour, je vous écrirai mon histoire. Ça vaut la peine, et vous comprendrez mieux qui je suis ».

 

Ne sachant pas si Steve sera libéré à l’heure où ces lignes vous parviendront, nous décidons d’échanger nos adresses mail pour multiplier les possibilités de garder contact. Peut-être nous reviendra-t-il prochainement avec d’autres nouvelles.

bottom of page