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Billet du 4 avril 2020

Par Stéphanie Mureau

[Rappel : Steve, 47 ans, papa d’une jeune fille de 15 ans, anciennement manager à la Stib et incarcéré pour la première fois depuis le mois de novembre en détention préventive à la prison de Nivelles. Ayant entendu parler de la chronique par le biais de son avocate, il veut apporter sa pierre à l’édifice. Se rendre utile en cette période où ils perdent leur temps à l’intérieur des murs.]

Le fait d’être en préventive comporte pour lui des aspects discriminatoires non négligeables. « La différence entre condamné et préventive est nette (…) c’est le jour et la nuit. A tous les niveaux, même au niveau des contacts avec les surveillants, les demandes, l’accès au sport, plein de choses comme ça ». Pour illustrer son propos, il m’explique qu’un condamné qui est sorti il y a peu avait fait la demande pour aller au « bodybuilding » et y a été pris au bout de 2 semaines. Son duo en préventive, par contre, demande à y aller depuis 4 mois et n’a toujours pas eu de réponse… « C’est dur parce que quand on a une réponse, que ce soit positif ou négatif au moins on a une réponse mais quand on a rien… on peut qu’attendre ». Même au niveau de la relation avec le personnel pénitentiaire, il remarque une distance : « (…) en tout cas en préventive pour eux c’est important de ne pas avoir de lien, parce qu’ils savent que du jour au lendemain on peut partir »

 

Au niveau de l’hygiène en prison, Steve me fait part que c’est très pénible pour lui. Ils ont droit à deux douches par semaine. Heureusement, ils ont des lavabos dans les cellules, mais encore faut-il avoir un gant de toilette à disposition pour se rafraîchir régulièrement. Au niveau du linge, c’est problématique aussi : pour en recevoir, il faut en donner : « vous le demandez, soit vous le recevez trois fois trop grand, soit c’est très sale, ils s’en foutent complètement. Parfois, ils font carrément pas le linge pendant deux semaines ». Cela lui est déjà arrivé de se retrouver sans chaussettes ou sans gant de toilette, car les oublis sont courants. « On est quand même encore des hommes, donc on essaie d’être un minimum présentables en sortant ».

Par contre, au niveau des cellules elles-mêmes, il ne se plaint pas. Il n’y a pas de bêtes, pas d’humidité. C’est une « chance » selon lui. Le seul problème se situe au niveau de l’entretien : ils peuvent nettoyer leur cellule à l’eau régulièrement, car ils peuvent mettre un seau à l’extérieur de leur cellule, dans lequel les agents mettent un peu de produit. Sauf que récemment, ils ont été privés de produit pendant un mois. Cela pose question en temps d’épidémie…

 

Concernant l’épidémie justement, rien n’a spécialement été mis en place selon lui pour éviter la propagation au sein de la prison. La seule mesure qu’il a pu constater, c’est la prise de la température au laser des détenus le lendemain de l’annonce des mesures gouvernementales. Sinon, rien n’a changé par exemple au niveau de la livraison de la nourriture. Les gardes portent des gants, ils ont arrêté les fouilles au corps mais ne portent pas de masque. « C’est pas de leur faute, c’est pas un reproche, c’est qu’eux-mêmes ils manquent de matériel ». Même au niveau des préaux, ils ne sortent pas par petits groupes comme dans d’autres prisons. Steve a l’avantage de se lever tôt donc ils ne sont pas beaucoup à la sortie de grand matin.

 

Il trouve certaines choses incohérentes dans le fonctionnement de la prison en ce temps de pandémie : la plupart des activités sont supprimées mais la distanciation sociale n’est pas imposée. Par exemple, un des détenus qui est coiffeur ne peut plus coiffer d’autres détenus, mais dans la cour tout le monde peut lui serrer la main ou jouer avec lui aux échecs…

Concernant les agents, il les trouve plus distants, beaucoup se protègent : « j’avais un bon contact avec eux et c’est vrai qu’il y en a un ou deux qui sont très humains, qui sont des gens super, mais par contre pour d’autres c’est vraiment un contact assez froid, même au niveau humain il y a une barrière. Mais c’est peut-être moi qui me fais une idée parce que je suis moins bien… ». Il évoque en plus un plus haut taux d’absentéisme : « on voit que c’est toujours les mêmes têtes. Par exemple, une dame a fait la soirée récemment et on l’a revue le matin ».

 

En ce qui concerne la situation à l’extérieur, Steve tente de se renseigner par lui-même. Il se méfie de la télé et se pose beaucoup de questions, donc il essaie d’obtenir des informations par téléphone, notamment via le CPAS. Il est très inquiet pour le moment car il va normalement être libéré bientôt. Même s’il a encore des contacts avec sa fille, ce n’est pas envisageable pour lui de retourner au domicile conjugal et il a peur de se retrouver sans rien. Normalement, il aurait accès à un appartement à sa sortie mais étant donné le confinement, il ne sait pas si les précédents locataires ont pu déménager comme prévu. Par conséquent, il est dans l’inconnu au niveau de ses ressources à la sortie, et cela l’effraie.

(…)

 

Dans le prochain volet de cette chronique, Steve nous rappellera le côté anxiogène de la prison.

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