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Billet du 9 avril 2020

Par Stéphanie Mureau

​[Steve, 47 ans, papa d’une jeune fille de 15 ans, anciennement manager à la Stib et incarcéré pour la première fois depuis le mois de novembre en détention préventive à la prison de Nivelles. Ayant entendu parler de la chronique par le biais de son avocate, il veut apporter sa pierre à l’édifice. Se rendre utile en cette période où ils perdent leur temps à l’intérieur des murs.]

 

(…)

Ce qui ressort fort de mon entretien avec Steve, c’est qu’il semble très sensible à la situation des jeunes détenus qu’il côtoie au quotidien. « J’ai l’habitude de travailler avec des jeunes de 20-25 ans, dans mon métier je travaillais beaucoup avec des contrats actiris et je les formais moi-même, j’avais beaucoup de contacts avec eux ». Selon lui, beaucoup ne sont pas à leur place en prison et ne sauraient rien en apprendre de positif. Bien au contraire : « j’en connais un d’assez débrouillard qui apprend beaucoup de choses d’autres détenus qui ne vont pas être bonnes pour quand il va sortir. Il parle déjà de projets qui risquent fort de le ramener en prison. Le problème est qu’il est jeune, il n’aura rien quand il va sortir donc la seule solution c’est de recommencer et il a pris des renseignements à gauche à droite en prison. J’essaie de discuter avec les jeunes mais il n’y a rien à faire pour eux, ils sont dans la mauvaise voie, ce qu’ils apprennent ici c’est pas bon pour eux ».

 

D’autres détenus, par contre, mettent à profit leur temps et tentent de mettre en œuvre des idées. En effet, Steve m’explique qu’un détenu avait établi un plan pour proposer de permettre les visites par vidéoconférence, en respectant des horaires par étage et par aile. Il a soumis ce plan à la direction, et depuis ils attendent une réponse. Cela serait un bon palliatif au manque de visites, puisque certains avaient l’habitude d’en recevoir tous les jours et ont très difficile en ce moment. Pourtant, les initiatives sont d’après lui mal prises dans le milieu carcéral : « la prison c’est vraiment une routine qui pour eux est importante parce que c’est une question de sécurité, ils n’aiment pas le changement ». Ils ont bien reçu les 20 € de téléphonie en compensation de la suppression des visites, mais cela est bien maigre pour ceux qui ne voient plus leur famille.

 

Cette situation a mené à des débordements importants, qui ont commencé il y a une dizaine de jours selon lui. La prison est déjà un lieu violent de base : « il n’y a rien à faire, on est entre hommes et c’est assez territorial, il faut gérer, si on s’impose pas ça part en vrille très vite. même moi qui suis très calme j’ai eu un début d’affrontement dans la cour, maintenant on me fout la paix parce que j’ai de l’expérience ». C’est surtout du côté des condamnés qu’il y a eu des mouvements. Ils ont refusé de rentrer du préau un soir, ont mis le feu à plusieurs endroits et ont cassé les tourniquets. Hier aussi il y a encore eu des débordements, ce qui fait que les condamnés sont maintenant en « régime strict », signifiant qu’ils n’ont plus le droit de sortir du tout, et plus de contacts. C’est extrêmement problématique pour Steve, car cela va exacerber les tensions déjà bien présentes. Même au niveau des préventives, un faible mouvement avait été entamé par un petit groupe qui a finalement laissé tomber avant que cela ne prenne de l’ampleur, car peu de détenus ont suivi.

 

Pour conclure ce long entretien téléphonique, Steve me rappelle à quel point il trouve cela dur d’être privé de ses livres et de ses contacts avec le groupe de culte. La prison est déjà de base un lieu anxiogène, mais avec les privations du peu de positif qu’il y trouvait, il perd pied. « Peu importe ce qu’on a fait, on reste des êtres humains et si on veut en faire des gens qui s’en sortent et ne recommencent plus, c’est pas en leur refusant de s’instruire et de faire quelque chose d’utile de leur temps qu’on va en arriver à ce résultat-là ». Il utilise même l’expression de « privation d’oxygène social » qui témoigne bien de son impression de suffoquer entre ces murs.

Et pourtant, Steve se considère parmi les plus chanceux d’entre eux…

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