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Billet du 1er avril 2020

Par Stéphanie Mureau

Steve, 47 ans, papa d’une jeune fille de 15 ans, anciennement manager à la Stib et incarcéré pour la première fois depuis le mois de novembre en détention préventive à la prison de Nivelles. Ayant entendu parler de la chronique par le biais de son avocate, il veut apporter sa pierre à l’édifice. Se rendre utile en cette période où ils perdent leur temps à l’intérieur des murs.

 

En effet, depuis le début du confinement, toutes les activités ont été supprimées : les visites, les cours, l’accès au sport, même l’accès aux livres. C’est d’ailleurs ce qui le touche le plus personnellement, lui qui occupait son temps en lisant, en s’instruisant, en commandant des livres qu’il recevait ensuite directement en cellule. Ses mots le traduisent bien : « un livre, c’est de l’or, c’est la base au niveau de l’accès à l’instruction, à l’information. Quand on est dans un livre, on n’est pas dans sa tête et quand on n’est pas dans sa tête, on ne broie pas du noir ». Il ne comprend d’ailleurs pas qu’on refuse de lui amener des livres, il trouve cela incohérent : « qu’on vienne me donner un livre ou qu’on vienne me donner à manger, je vois pas la différence ». Lire, c’est au même titre que les préaux pour lui, c’est une manière de s’aérer l’esprit.

 

Prendre l’air, se changer les idées, c’est aussi quelque chose qui est devenu plus rare pour les détenus. Désormais, ils n’ont plus droit qu’à un seul préau par jour, d’une durée d’1h30, aux horaires variables : de 8h à 9h30 un jour, de 10 à 11h30 un autre, ou encore l’après-midi de 14h30 à 16h. C’est difficile d’avoir leur sortie très tôt en matinée, car à partir de 9h30, ils rentrent en cellule et n’en sortent plus avant le lendemain matin. Selon lui, l’horaire des préaux de l’après-midi est fixé aléatoirement de sorte à pouvoir contrer les « largages », c’est-à-dire les colis (souvent de drogue) balancés par les gens de l’extérieur dans la cour.

Concernant l’horaire en matinée, ils sont souvent très peu à 8h car la plupart des détenus dorment encore à cette heure-là. Tous les détenus ont de gros problèmes de sommeil, c’est généralisé et certains ont des pathologies lourdes et suivent des traitements plus lourds qui les assomment.

 

Tiens, justement, à propos des médicaments, il a une anecdote à raconter. En arrivant en prison, il suivait un traitement qu’il a décidé d’arrêter pour voir s’il pouvait s’en passer. Malheureusement, cela lui a causé des soucis pour dormir. Il a donc fait la demande au médecin de la prison pour pouvoir reprendre les mêmes médicaments, lequel l’a envoyé paître sous prétexte qu’il « savait très bien se débrouiller sans ». Après tout, c’est lui qui avait décidé de l’arrêter… Pour Steve, le système de santé en prison est une catastrophe. Quand il n’y avait pas encore le problème du coronavirus, il avait demandé à voir le médecin car il ne se sentait pas bien. Il a pu le voir après 15 jours seulement, et ce dernier l’a écouté sans vraiment l’ausculter et lui a prescrit plusieurs médicaments. « il n’y a pas d’humanité, pas de contact ». Par contre, il trouve que le personnel infirmier est très sympa. « Ils sont plus ouverts, plus humains, ça se sent directement ».

Même en ce qui concerne la santé mentale, c’est très complexe. Steve se sent lésé par le fait d’être en préventive : « Quand je suis arrivé, j’ai fait la demande pour un suivi psychologique, ne fût-ce que pour parler des faits car c’était la première fois et la dame m’a carrément dit qu’elle ne pouvait rien faire pour moi, que je n’étais même pas condamné alors qu’elle allait pas me faire un suivi si c’était pour que je sorte après 1 mois ». Sachant que cela fait quand même 5 mois qu’il est là maintenant, cela lui pose question… Il se montre tout de même nuancé, il peut comprendre la position de la psychothérapeute qui souhaite travailler sur du long terme, mais en attendant, lui n’a pas droit à un suivi.

Par ailleurs, il m’expose plusieurs choses qui lui permettent de tenir au quotidien en prison. Tout d’abord, l’aumônerie, dont il fait partie, est un groupe extrêmement important pour lui. Même s’il n’est pas spécialement croyant, il regrette que le culte soit annulé à cause du confinement car beaucoup d’entre eux ont besoin de ce contact humain. Il trouve que les membres du groupe sont super, « avec un message et une gentillesse qui font du bien ». Leurs seuls contacts actuellement sont à raison d’une lettre par semaine et cela lui manque énormément.

Une deuxième chose essentielle pour lui est de garder contact avec sa fille. En me parlant d’elle, il m’informe de certaines décisions qu’il juge arbitraires, en m’expliquant qu’à son arrivée en préventive, il ne connaissait pas le numéro de sa fille et ne pouvait donc prendre contact avec elle. Plusieurs fois, il a fait la demande pour l’avoir mais le juge d’instruction aurait, semble-t-il, refusé pendant plus d’un mois et demi. Finalement, un jour, il a reçu un courrier indiquant que sa demande récente avait été refusée. Le lendemain, dans un autre courrier, il a été informé que sa demande (plus ancienne) avait été acceptée. « Où est la logique là-dedans ? C’est totalement incohérent ! J’ai 47 ans, j’ai jamais eu de conflit ou de problème avec la justice auparavant et je me retrouve ici, je pensais pas du tout que c’était comme ça. J’avais une idée un peu infantile des droits et de la justice mais quand je suis rentré ici j’ai ouvert les yeux (…) Ici les gens sont traités comme des animaux, au niveau du contact il n’y a plus d’humain. Je pensais pas que ça pouvait exister en Belgique ce genre de choses ».

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