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Billet du 13 mai 2020

Par Stéphanie Mureau

​[Steve, 47 ans, papa d’une jeune fille de 16 ans, anciennement manager à la Stib et incarcéré pour la première fois depuis le mois de novembre en détention préventive à la prison de Nivelles. Ayant entendu parler de la chronique par le biais de son avocate, il veut apporter sa pierre à l’édifice. Se rendre utile en cette période où ils perdent leur temps à l’intérieur des murs.]

 

Steve m’a appelée un jour plus tôt que d’habitude aujourd’hui. Il n’a toujours pas le moral, il a une petite voix et il ressasse son jugement. « Ça me ronge parce que ça touche beaucoup de choses, ça touche vos croyances, je croyais quand même fort en une certaine justice et ça me pose un gros problème parce que j’ai vraiment été condamné à l’aveugle, pour des choses que je n’ai pas faites et je suis obligé d’accepter pour ne pas avoir pire ».

 

Il n’a plus été au préau depuis une semaine, seule « activité » pourtant encore permise en ce moment. Il sortait tout le temps au préau au début et maintenant plus, il n’en voit plus l’intérêt. En plus, un haut gradé de la prison qu’il aimait beaucoup est venu avec 3 autres personnes fouiller sa cellule. Ils soupçonnent toujours Steve de dissimuler un GSM. Il pense que c’est lié à l’épisode de fouille survenue quand il était servant, qu’il a évoqué dans un précédent billet. « Ce qui m’a fort étonné, c’est qu’ils m’ont même pas parlé. Ils m’ont fait sortir de ma cellule, m’ont fouillé, ont fouillé la cellule puis m’ont fait rentrer sans un mot. Et j’ai rien demandé parce que je suis blasé. Je m’en fous en fait, et je crois qu’ils l’ont compris, je cherche pas la misère. Mais ça a été dur après, j’ai eu un gros coup. Parce que le chef je l’aime beaucoup, et il est venu après à la « baouette »1, il a soulevé la fenêtre tout doucement pour regarder dans la cellule et j’étais justement de l’autre côté à regarder au même moment. Nos regards se sont croisés et il a vite refermé. Ça m’a touché que ce gars que j’aimais bien soit rentré comme ça sans rien me dire ».

 

Bonne nouvelle par contre, ils ont enfin mis les visites par vidéoconférence en place à la prison de Nivelles. Nous regrettions justement lors d’un précédent appel l’absence de réaction quant à l’initiative d’un détenu sur ce plan de visite virtuelle. Le problème, c’est qu’il s’agit en partie d’un cadeau empoisonné. Steve s’explique : « Ils ont fermé la liste de visiteurs pour le moment donc c’est accessible qu’à ceux qui avaient déjà des visites ». Donc lui par exemple, qui ne voulait pas que sa fille vienne le voir en prison pour ne pas lui imposer cet environnement malsain, il ne peut pas non plus la voir en vidéoconférence car elle n’est pas inscrite sur la liste des visiteurs. « C’est réservé à ceux qui étaient déjà indiqués sur la liste avant. Mais en plus, ça ne peut être qu’une seule personne par détenu et ça doit toujours être la même qu’on appelle. Après, lors de l’appel d’autres personnes peuvent être présentes mais c’est obligatoirement la même qui doit recevoir les appels vidéo et elle doit être déjà inscrite ». Cela nous semble bien triste pour les détenus qui, comme Steve, refusaient de faire venir des proches à la prison et se retrouvent maintenant privés de voir virtuellement des visages familiers qui auraient pu leur mettre un peu de baume au cœur en cette période.

 

Steve me parle ensuite de l’état des cellules à Nivelles. Personnellement, il n’est pas trop mécontent. Les cellules sont hermétiques, ils n’ont pas de soucis de bestioles. En temps normal, les agents sont « assez cool » parce qu’ils les laissent parfois repeindre leurs cellules s’ils le veulent (il y a des graffitis faits par les détenus sur les murs). Par contre, les armoires c’est une catastrophe, il n’y a la plupart du temps plus de portes. Ils n’ont donc aucun moyen de protéger leur maigre réserve de vêtements des éventuelles odeurs, de tabac ou de nourriture par exemple. Steve relativise : « C’est un peu la faute des détenus ça, s’ils abîmaient pas les fournitures, on aurait du matériel en bon état. Mais quand ils pètent des câbles, ils tapent dans tout et abîment et c’est pas remplacé ».

Il a par contre remarqué un problème avec les toilettes dans certaines cellules : il a connu une cellule où la toilette fuyait et personne n’est venu la réparer. Connaissant les dimensions de l’espace de vie des détenus, ils avaient souvent les pieds dans l’eau. Il y avait aussi une cellule pour les entrants où la toilette était carrément bouchée et débordait. « Ils savent même pas aller à la toilette alors qu’ils arrivent tout juste en prison et sont tout déboussolés ». Même si c’est une cellule où les entrants ne restent généralement pas longtemps, Steve trouve ça honteux.

Toujours en rapport avec l’état de la prison, Steve me raconte que les détenus jettent beaucoup de trucs par les fenêtres de leurs cellules. Des détritus, des restes de nourriture… et quand c’est l’été, il imagine que ça doit sentir bien mauvais dans les cellules d’en bas dont les fenêtres donnent sur la cour, à cause de tous ces déchets jetés sur le préau. Il trouve cependant que la prison fait des efforts quand même : ils ont par exemple monté une équipe chargée de nettoyer le préau régulièrement.

 

Steve nous l’avait appris lors de son premier billet : ils ont droit normalement à du produit une fois par semaine pour nettoyer le sol de leur cellule, le lavabo et la toilette. « Mais depuis que je suis là, j’en ai reçu peut-être deux-trois fois et depuis plus rien ». A la place, il utilise donc du liquide vaisselle qu’il achète lui-même à la cantine. « Moi je ne cantine pas beaucoup car j’ai pas beaucoup de budget et certains produits ont beaucoup augmenté ces derniers temps mais j’imagine que c’est parce que la prison n’arrive plus à obtenir les produits de base et qu’ils doivent acheter des marques plus chères ».

Je lui demande alors s’il a finalement su faire passer le sac d’aliments qu’il voulait donner au détenu de la cellule d’à côté. « Oui j’ai réussi, j’ai attendu qu’un agent que je considère comme un bon gars soit en service. Il est un peu indifférent, mais pas méchant donc je lui a demandé et il a pris le sac pour le passer à l’autre. Je voulais me débarrasser de plein de choses et finalement je lui ai fait un sac pour dix ans je crois (rires) ».

 

Notre appel se termine un peu abruptement. Steve doit surveiller son budget, et il ne lui reste plus grand chose. Il précise quand même que ça lui fait du bien moralement de me parler. Il n’y a pas beaucoup de conversation en prison, et en plus il se sent utile en témoignant. « Je vous promets que je vous rappellerai mardi prochain, si ça vous convient ». Puis, « prends bien soin de toi en tout cas Stéphanie ». Je vois dans ce tutoiement que nous franchissons une étape de plus dans ce lien que nous tissons depuis quelques semaines maintenant, et j’en suis touchée.

 

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1. J’ai peut-être mal compris ou orthographié ce mot. Baouette selon Steve est le surnom du judas de la porte qui permet à l’agent pénitentiaire de voir à l’intérieur de la cellule sans ouvrir sa porte.

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