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Billet du 12 mai 2020

Par Noé Boever

A la prison d’arrêt de Namur, Falhi rencontre Gabi, son codétenu. Hier inconnu, c’est désormais avec lui qu’il passera l’entièreté de son temps, de jour comme de nuit. Alors, Falhi espère bien tomber. Par chance, le courant passe rapidement entre les deux hommes qui comprennent vite que la vie leur sera moins dure s’ils peuvent compter l’un sur l’autre. Et puis, chance dans la malchance, Falhi est incarcéré dans l’aile rénovée dans la prison, au contraire de Tarek. Les deux potes, partis ensemble d’Algérie il y a 2 ans et hier encore inséparables ne se voient plus qu’une petite heure par jour quand Falhi profite de son préau pour aller prendre des nouvelles de son ami d’enfance, en bas de la fenêtre de sa cellule. Un avant-goût de distanciation physique, déjà. 

 

Coupé dans son élan, Falhi ne s’effondre pas pour autant. Volontaire et bien décidé à s’intégrer en Belgique, à mettre son diplôme à niveau et à trouver un travail, Falhi veut profiter de son temps « à l’ombre » pour améliorer son français, au contact de Gabi et des cours de français prodigués par la prison. Mais après une dizaine de jours, un virus venu de Chine vient perturber les plans  de notre néo-étudiant. Les détenus, déjà confinés, se voient appliquer les mêmes règles que le monde extérieur. Les cours, et l’entièreté des activités et des visites sont suspendues jusqu’à nouvel ordre. Heureusement, Falhi peut compter sur un codétenu de qualité. Bien conscient des difficultés rencontrées par son compagnon d’infortune, Gabi lui donne cours, tous les jours. Du français, bien sûr mais pas que. Il faut dire que Gabi prépare un jury central, pour enfin être diplômé du CESS qu’il n’a jamais obtenu, lui qui a arrêté l’école trop tôt. Alors pendant qu’il étudie les maths, et l’histoire dans des livres empruntés à la bibliothèque de l’établissement, Gabi tente de vulgariser au maximum pour permettre à Falhi de suivre et de se mettre, lui aussi à niveau. L’exercice est d’autant plus intéressant que ce cours d’histoire que Gabi lui apprend ne ressemble en rien à ce que Falhi a appris en Algérie. Falhi s’imprègne donc d’un monde nouveau, fait de Moyen-Âge, de Révolution française et de siècle des Lumières. Sans rien renier de ce qu’il a appris par le passé, il est heureux et curieux de découvrir cette autre facette de l’histoire qui ne lui a jamais été enseignée. Il faut dire qu'en Belgique on n'entend pas non plus parler de l'Histoire qu'on enseigne en Algérie...

 

Ensemble, les deux hommes construisent une ligne du temps de 2-3 mètres en collant ensemble des feuilles A4, qu’ils collent sur les murs de la cellule afin que Falhi puisse l’étudier plus facilement.

 

Le reste du temps, les deux jeunes hommes le passent devant leur petite télévision, où un abondant flux d’information aussi addictif qu’anxiogène les tient au courant de l’évolution en direct du Covid-19 qui touche la Belgique et le monde entier. Mais sur les chaînes belges, pas un mot de la situation en Algérie évidemment. Et comme les détenus n’ont pas accès à Internet, c’est en zappant sur un télétexte qu’on pensait obsolète et disparu que Falhi glane par-ci, par-là des informations sur la situation en Afrique. De temps en temps, il passe un coup de téléphone en Algérie pour prendre des nouvelles de sa famille. Mais la connexion, déjà chère entre deux numéros belges, est hors de prix pour les appels internationaux et Falhi ne peut décemment pas demander aux membres de sa famille de lui envoyer de l’argent, eux qui peinent déjà à boucler leurs fins de mois, à 2000km de là et qui ne savent même pas qu’il est en prison. Trop gêné par sa situation, et de peur de leur faire honte, il leur fait croire qu’il est en centre fermé. Falhi s’en veut beaucoup. Il a voulu partir, trouver du travail et son bonheur ailleurs et il est aujourd’hui coincé entre 4 murs, enfermé à cause de quelques conneries évitables. Après un mois d’incarcération, Falhi décide finalement de dire la vérité à ses parents : il n’est pas en centre fermé mais incarcéré à Namur en attente de jugement. Et en attendant, heureusement, il a Gabi qui l’aide au quotidien et qui lui a fait découvrir Koh Lanta, leur rendez-vous incontournable du vendredi soir, comme une parenthèse de 2 heures dans leur vie de double-confinés.

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